Mettre en concurrence les associations de lutte contre les violences faites aux femmes, une nouvelle stratégie du gouvernement ?

L’Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail (AVFT) tirait en début d’année la sonnette d’alarme : face à l’augmentation des appels téléphoniques suscités par #MeToo et #BalanceTonPorc, elle était obligée de fermer son accueil téléphonique, faute de moyens supplémentaires pour y faire face.*

La réponse de l’État, via la Secrétaire d’État à l’Égalité Femmes Hommes fut sans nuance : puisque l’AVFT ne pouvait plus « assumer ses fonctions », déclarait-elle en « oubliant » que son activité de soutien aux victimes va bien au-delà de la réponse téléphonique, elle annonçait que l’État devait « reprendre la main » par le biais d’une nouvelle ligne téléphonique, en faisant fi de l’expertise accumulée par l’AVFT depuis 1985.

Sous réserve de sérieuses compétences, répondre à des appels téléphoniques c’est bien. Accompagner les victimes tout au long de leurs procédures judiciaires, faire évoluer la législation, assumer la formation, la recherche, c’est beaucoup mieux et c’est indispensable.

Mais, oubliant déjà le service public, un appel à projet d’un million d’euros était lancé pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail par Marlène Schiappa.
Cet appel est problématique pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la lutte contre les violences contre les femmes nécessite un maillage territorial et un véritable travail en réseau des acteurs institutionnels et associatifs.
Alors que la logique et le souci d’efficacité devraient amener à associer, renforcer voire développer une association experte sur les violences au travail depuis 33 ans, l’appel à projet « vise à soutenir l’émergence d’actions nouvelles »… tout en reprenant dans ses critères les missions de l’AVFT (prise en charge et accompagnement judiciaire des victimes, sensibilisation, formation) ! Un tel discrédit porté aux associations est stupéfiant.

De plus, selon l’appel à projets, non seulement le même montant sera versé indistinctement à chaque région, sans prise en compte du nombre de départements ni des spécificités territoriales, mais l’aide ne sera pas pérenne, les projets devant se réaliser avant la fin 2019 sans assurance de renouvellement pour 2020. Une fois de plus, tout est fait dans la précipitation et sans garantie sur le long terme.

Enfin, alors qu’un soutien efficace aux victimes ne peut jaillir que de la coopération entre associations agissant chacune dans un domaine de compétence spécialisé, un tel modèle de financement les met au contraire en concurrence, précarise les salariées et limite leur montée en compétences sur le long terme. L’appel à projet est donc directement préjudiciable aux victimes de violences masculines, qui ont besoin d’un accompagnement stable et durable pour faire face à des procédures longues et éprouvantes.

Ces attaques gouvernementales contre les associations spécialisées telles que l’AVFT entrent en contradiction avec la Charte d’engagement réciproque entre l’État, les collectivités territoriales et le mouvement associatif du 14 février 2014. L’État s’était alors engagé à favoriser dans la durée des soutiens publics aux associations et à privilégier la conduite de projets sur le long terme par des conventions pluriannuelles. Force est de constater que les récentes décisions mettent en échec les engagements pris.

De tels agissements doivent nous interroger et nous pousser à (re)définir ce que serait un véritable service public pour la protection des droits des femmes.
Sans concertation, échange, dialogue préalables, impossible de construire ensemble un Service public de qualité, cohérent et adapté pour la protection et la défense des femmes. Sans subventions conséquentes pour les structures associatives existantes engagées aux côtés des femmes avec un renforcement des services publics (hôpitaux, justice, force de l’ordre, éducation nationale, etc.), impossible de répondre aux besoins des victimes, impossible de développer la prévention pour lutter durablement contre les violences masculines.

Enfin, dans un contexte de démantèlement de la fonction publique (120 000 postes supprimés, y compris à l’inspection du travail !), comment l’État peut-il prétendre reprendre en main aussi rapidement des missions qu’il n’a jamais assumé et qui ont été conçues et réalisées par les seules associations…?

Nous, militant.e.s féministes, associations, organisations, syndicats, prenons acte du choix gouvernemental de fragiliser le tissu associatif, d’amoindrir le Service public en général et de favoriser une approche concurrentielle de la lutte contre les violences faites aux femmes, au détriment de l’expertise féministe.

Pour lutter contre toutes les violences faites aux femmes, nous sommes tou.te.s solidaires, et nous le resterons !

*L’AVFT a depuis début juin rétabli cette ligne téléphonique.


SignatairesRéseau Féministe “Ruptures”, Archives Recherches Cultures Lesbiennes, Osez le Féminisme !, Collectif National pour les Droits des Femmes, Marche Mondiale des Femmes France, Mouvement du Nid Paris, Collectif 13 Droits des femmes, Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, Attac, Maison des Femmes Thérèse Clerc à Montreuil, Ligue des femmes Iraniennes pour la Démocratie-LFID, Le Planning Familial, Collectif “Tout.e.s contre les Violences Obstétricales et Gynécologiques”, Fédération Nationale Solidarité Femmes, Femmes libres (Radio libertaire), Ensemble, Femmes Egalité, Collectif Féministe Contre le Viol, Voix de Femmes, Ligue des Droits de l’Homme, Initiative Féministe Euromed IFE-EFI, Union syndicale Solidaires, Réseau International des Mères en Lutte, Association nationale des études féministes (ANEF), SOS les Mamans et les Enfants, Femmes Migrantes Debout, l’Assemblée des Femmes, SMAST CGT et SNASS CGT (services du Ministère des affaires sociales), Maison des femmes de Paris, Association Familiale Laïque-Meinau-ICI-Ailleurs (AFL-MIA), Mouvement Jeunes Femmes, Collectif anti-CRASSE

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