Cours criminelles départementales : une justice de seconde classe
Les cours criminelles départementales, censées éviter la correctionnalisation des viols, servent en fait d’outil pour déqualifier des crimes sexuels, parmi les plus sadiques, les plus misogynes, les plus racistes. C’est ce que révèle la procédure “French Bukkake” pour laquelle les plaignantes ont fait appel. Soutien à elles avant la décision de la Cour d’appel le 14 décembre.
Les cours criminelles départementales ont été mises en place, à titre expérimental, par la loi du 23 mars 2019. Composée de 5 magistrat·es, cette cour départementale peut se substituer à la cour d’assises (composée d’un jury populaire de 9 membres) mais uniquement pour les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison maximum et hors cas de récidive ; en bref : pour des soit-disant “petits crimes”, qui dans les faits sont des viols. L’objectif de cette création tel qu’annoncé par le gouvernement était de désengorger les cours d’assises, et d’éviter les correctionnalisations des viols qui sont monnaie courante. En effet, le viol est un crime, mais les faits de viol sont massivement déqualifiés en délits d’agression sexuelle. Ceci constitue un déni de droit institutionnalisé pour les femmes victimes de viol. Il faut y mettre fin pour espérer que le sentiment d’impunité des violeurs commence à reculer.
En 2023, trois ans plus tard, les cours criminelles départementales ont été généralisées, et ce malgré un bilan plus que contrasté dans les quinze départements où ces cours ont été mises en place. Selon le rapport d’évaluation de cette expérimentation, aucune diminution du nombre de correctionnalisations n’a pu être constatée. De plus, le rapport souligne que, par manque d’effectifs, la justice est obligée de faire appel à des magistrat.es honoraires pour siéger dans les cours criminelles départementales qui jugent à 88% des viols. Elles sont composées de magistrat.es à la retraite, peu ou pas formé.es aux questions spécifiques des violences sexuelles.
Le viol est le crime le plus massif et le plus impuni : 94 000 femmes par an déclarent avoir été victimes de viol ou d’une tentative de viol et seulement 1% d’entre elles obtiennent la condamnation du violeur. Les cours départementales, dépourvues de moyens, au sein desquelles siègent des magistrat·es non formé·es sur les violences sexuelles, sont le nouvel élément d’une justice au rabais pour les femmes victimes de viols.
Alors, à quoi servent donc les cours criminelles départementales ? Le procès “French Bukkake” qui se tiendra dans les prochains mois nous offre la réponse : elles permettent, encore une fois, de minimiser des violences sexuelles graves renforçant le déni de justice institutionnalisé pour les femmes victimes de violences masculines. Le procès “French Bukkake” est hors norme : 40 femmes parties civiles (parmi plus d’une centaine identifiées) feront face à 17 accusés, mis en examen pour viols aggravés, proxénétisme aggravé et traite des êtres humains.
Le sadisme et la barbarie de l’industrie pornocriminelle sont édifiants : les femmes ont été manipulées, piégées, violées et torturées. Les vidéos des exactions ont été diffusées sans limite et sont pour la majorité encore en ligne sur des plateformes pornographiques. Le préjudice de ces femmes, condamnées à une mort sociale, est inouï, aussi inouï que les tortures qui leur ont été infligées. Une femme, lors d’un seul “tournage pornographique” a été pénétrée violemment plus de 80 fois par des dizaines d’hommes. Les femmes y sont victimes d’injures misogynes et racistes d’une violence et d’une déshumanisation extrêmes. L’enquête révèle un système organisé de traite des êtres humains de façon industrielle, au sein duquel le sadisme témoigne de la pire haine des femmes.
Face à la matérialité incontestable de ces faits, enregistrés par vidéos, les qualificatifs d’actes de torture et de barbarie, et les circonstances aggravantes de sexisme et de racisme, ont été abandonnés par le parquet sans justification valable. Le choix délibéré a été d’ignorer la réalité de certains faits, limitant ainsi les peines à 20 ans et permettant de renvoyer ce qui sera le plus grand procès de violences sexuelles jamais tenu devant une simple cour criminelle départementale.
Ces femmes témoignent de violences extrêmes qui devraient être reconnues comme constitutives de torture. Or, la peine encourue pour le crime de torture est la perpétuité… Notre question est la suivante : la tentation de faire entendre l’affaire par une cour criminelle départementale – réduisant les coûts et désengorgeant la cour d’assise – serait-elle de nature à conditionner la sélection des infractions retenues par la juge d’instruction ? Pour quelle raison ces choix ont-ils été opérés ? Par souci d’économie ou par choix idéologique, la justice refusant de voir les réalités criminelles et proxénètes de l’industrie pornographique ? Dans les deux cas, le résultat, gravissime, est là : la justice refuse de faire une application sincère de la loi et organise à nouveau un déni de justice pour ces femmes qui ont vécu l’horreur et ont eu le courage incroyable de parler.
Les plaignantes attendent maintenant la décision de la Cour d’Appel le 14 décembre. Ce qu’elles réclament : que la justice ne dénie pas les violences criminelles barbares, racistes, et misogynes qu’elles ont subi. Osez le Féminisme ! se tient à leurs côtés et leur apporte tout le soutien qu’elles méritent.