« Pornographie » l’alibi de la haine, de la torture et du crime organisé

Tribune parue dans le Monde le 21 décembre 2020

Les méthodes de l’industrie pornographique sont identiques à celles des réseaux de traite des êtres humains

La pornographie n’est pas définie juridiquement. Pourtant, ce terme cache à lui seul une longue liste de violences sévèrement punies par le code pénal et par les conventions internationales :  torture, viol, abus de vulnérabilité, proxénétisme, traite des êtres humains, incitation à la haine sexiste et raciste, injure sexiste, lesbophobe et raciste… On mesure ainsi le poids des mots et de leur puissante fonction sociale au service de l’impunité des criminels.

Partout dans le monde, les procès se multiplient et les survivantes parlent. En France, en septembre  une enquête préliminaire contre “Jacquie et Michel” pour viols et proxénétisme a été ouverte par le parquet de Paris. En octobre, quatre pornocriminels étaient mis en examen pour viols, proxénétisme et traite d’être humain

Ce que l’on désigne aujourd’hui par l’expression “industrie pornographique” et qui produit des milliards de dollars de bénéfices à travers le monde – 219 985 vidéos sont vues chaque minute sur Pornhub – dissimule en réalité des réseaux criminels proxénètes et de traite des êtres humains à grande échelle. Les méthodes employées par l’industrie de la production de vidéos pornographiques sont sophistiquées et identiques à celles des réseaux de traite des êtres humains : rabattage, mise en confiance, soumission par le viol, exploitation, mise sous terreur, inversion de la culpabilité. Elle s’appuie sur le mythe archaïque et misogyne d’une femme objet sexuel qui serait avide d’auto-dégradation. 

Des violences aux séquelles psychotraumatiques gravissimes

Les tournages des actes sexuels sous contrainte économique et morale, des agressions sexuelles et des viols, voire des actes de torture et de barbarie sont la réalité constante du système pornocriminel. Il piège des femmes vulnérables et les contraint, malgré leur refus clairement exprimé ou par surprise, à subir des  sodomies, doubles pénétrations, viols collectifs, coups, gifles, étranglements, suffocations, jets d’urine, éjaculation faciale en meute… Ces violences, viols et tortures, leur laissent des séquelles physiques (déchirure anale ou vaginale, brûlures…) ainsi que des séquelles psychotraumatiques gravissimes. Un tableau d’une violence inouïe qui est bien loin de la propagande de ceux qui ont intérêt à faire croire que les femmes exploitées ont des “appétits sexuels démesurés”.  

Seule la complaisance et le déni peuvent permettre de croire qu’un tournage, avec ce qu’il comporte de violences extrêmes, puisse procurer autre chose que de la douleur physique et psychologique aux femmes qui le subissent.

L’impact de la pornographie n’est pas limité aux femmes qui subissent des violences sur les tournages mais s’impose à l’ensemble de la société. 

Les scénarios rédigés par les agresseurs font l’apologie de la haine des femmes, de la haine raciste et lesbophobe, de la haine des pauvres, de la pédocriminalité, de l’humiliation et de la déshumanisation des femmes et des filles. Sur Pornhub, les catégories “Teen”, “Interacial” ou “Fantasme familial” comptent des centaines de milliers de vidéos.

Une réponse à l’idéologie patriarcale

On trouve en deux clics des intitulés racistes, pédocriminels et misogynes tels que “ado noire se fait enculer par homme blanc” ou “collégienne salope soumise”. Une enquête du New York Times, parue le 4 décembre, montre que le site est infesté de vidéos de viols, de viols d’enfants, de femmes torturées, inconscientes. Le 10 décembre, MasterCard et Visa interdisaient tout paiement sur leur site. 

La pornographie véhicule l’idée selon laquelle la sexualité est indissociable de la brutalité. Elle est l’école, la légitimation des violences contre les filles et les femmes puisqu’elle repose sur une essentialisation des sexes : c’est parce que les femmes seraient différentes par nature qu’elles auraient besoin d’être dégradées pour éprouver du plaisir. C’est une idée que l’on retrouve dans les discours de justification du viol. Ainsi, la pornographie répond à l’idéologie patriarcale selon laquelle les hommes devraient dominer les femmes dans la société. Fessées, fouets, viols correctifs… La pornographie nous raconte une histoire selon laquelle les femmes doivent rester à leur place, soumises au pouvoir des hommes, une histoire qui fait l’apologie de l’oppression des femmes. 

L’imposition systématique de ces images à répétition réduit l’imaginaire sexuel des individus, les études citées par la sociologue féministe Gail Dines dans Pornland le montrent.

Une violation du droit international

Ainsi, là où la sexualité devrait être un continuum d’expériences et d’apprentissages, la pornographie entraîne une déshumanisation des femmes qui se retrouve à tous les niveaux de la société. Sous couvert de liberté, le “porno” est en fait l’affirmation de privilèges sexuels masculins et la possibilité pour certains de tirer profit de la vulnérabilité des femmes afin de faire fortune.

Tout comme le racisme, l’apologie de la haine et de l’humiliation des êtres humains, et principalement des femmes, sont illégales. La torture, les actes de barbarie, les viols sont des crimes.  La Convention Européenne des Droits de l’Homme met à la charge des États membres l’obligation de lutter efficacement contre toutes les atteintes portées à la dignité humaine. L’impunité dont jouissent à ce jour les réseaux criminels dits « porno » est clairement une
violation du droit international ! 

SIGNATAIRES

Elisabeth Moreno, Ministre déléguée à l’égalité Femmes-hommes, à la diversité et à l’égalité des chances.
Laurence Rossignol, Sénatrice PS
Madlala-Routledge Nozizwe, Embrace Dignity, ex-Minister & MP, South Africa
Clémentine Autain, Députée LFI
Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC
Sylvie Pierre-Brossolette, Présidente de la Cité Audacieuse
Mélanie Luce, présidente de l’UNEF,
Danielle Bousquet, Présidente de la FNCIDFF, ex-présidente du Haut Conseil à l’Egalité
Céline Verzeletti, Secrétaire confédérale de la CGT
Sandrine Rousseau, économiste et femme politique EELV
Albane Gaillot, Députée du Val-de-Marne
Benoît Martin, Secrétaire général de l’UD CGT de Paris
Laurence Cohen, Sénatrice PCF du Val-de-Marne
Diana Johnson, Member of Parliament, UK
Muriel Ressiguier, Députée LFI
Hélène Bidard, Maire-adjointe de Paris à l’égalité femmes-hommes
Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris EELV
Danielle Simonnet, Conseillère de Paris, LFI
Sylviane Agacinski, philosophe
Christine Delphy, chercheuse CNRS et militante féministe
Gail Dines, Présidente Culture Reframed
Céline Piques, porte-parole d’Osez le Féminisme !
Claire Quidet, Présidente du Mouvement du Nid,
Claire Charlès, Présidente des Effrontées
Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Françoise Brié, Présidente Fédération Nationale Solidarités Femmes
Ernestine Ronai, Présidente Observatoire des violences faites aux femmes en Seine Saint Denis
Sophie Binet, Chargée de la commission femmes mixité de la CGT
Ghada Hatem-Gantzer, Médecin-Cheffe de la Maison des femmes
Gilles LAZIMI, médecin, militant associatif, professeur de médecine générale
Melissa Farley, Prostitution Research, USA
Emmanuelle Piet, Présidente CFCV (Collectif féministe contre le viol)
Marie-Hélène Franjou, Présidente de l’Amicale du Nid
Lorraine Questiaux, avocate au Barreau de Paris.
Planning Familial 75
Suzy Rojtman, Porte parole CNDF
Rosen Hicher, Survivante de la prostitution et militante féministe
Noura Raad, Coprésidente Réseau Européen des Femmes Migrantes (ENOMW)
Florence Montreynaud, écrivaine
Ensemble !
Geneviève Couraud, présidente d’honneur de l’Assemblée des Femmes
Anais Defosse, avocate au Barreau de Paris,
Monique Dental, Présidente fondatrice Réseau Féministe « Ruptures »
Quentin Dekimpe, Avocat au Barreau de Seine-Saint-Denis
Claire Desaint, co-présidente de Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir
Catherine Sophie Dimitroulias, Présidente de l’Association des Femmes de l’Europe Méridionale (AFEM)
Esther Fouchier, Présidente du Forum Femmes Méditerranée
Sandrine Goldschmidt, Présidente festival Femmes en résistance
Marie-Paule Grossetete, coprésidente CLEF (Coordination Française pour le Lobby Européen des femmes)
Lilian Halls-french, coprésidente Initiative Féministe EuroMed IFE-EFI Robert Jensen, Professeur émerite, Université du Texas
Huguette Klein, Présidente de Réussir l’Égalité Femmes-Hommes
Mie Kohiyama, Présidente de Moi aussi amnésie
Séverine Lemiere, Présidente Association FIT une femme un toit
Maïté Lønne, survivante belge de la prostitution
Nelly Martin, Marche Mondiale des Femmes France
Frédérique Martz, Présidente de l’institut Women Safe
Catherine Morin Le Sech, co-présidente CQFD lesbiennes Féministes
Flor Pousse, Las Rojas
Roselyne Rollier, Présidente Maison des Femmes Thérèse Clerc à Montreuil
Alexine Solis, survivante de la pornographie et militante féministe
Yves Scelles, Président de la Fondation Scelles
Judith Trinquart, Médecin légiste – Addictologue, Secrétaire Générale Mémoire Traumatique et Victimologie
Edith Vallee, présidente de l’association Matrimoine de Paris
Marjolaine Vignola, avocate au Barreau de Paris.
Alliance des Femmes pour la Démocratie
Féminicides par compagnons ou ex, collectif féministe
Zéromacho
Frédérique Pollet Rouyer, Avocate au barreau de Paris
Rachel Beaufort, Présidente, ISALA ASBL, Belgique
Chiara Carpita, Présidente de Resistenza Femminista, Italie
Irene Fereti, Greek League for Women’s Rights, Grèce
Annette Lawson, Ambassador, NAWO (National Alliance of Women’s Organisations), UK
Solveig Senft, Networking manager of SISTERS – for the exit from prostitöution! e.V., Allemagne
Marcus Svensson, Sakkunnig Realit Check / TALITA, Suède
Grégoire Théry, CAP international, Belgique
Persson Olga, President, Unizon, Suède
Linda MacDonald , Co-founder Persons Against Non-State Torture, Canada
Megan Walker, Executive Director, London Abused Women’s Centre (Canada)
Maria Dmytriyeva, Project Manager, Democracy Development Center, Ukraine
Jeanette Westbrook, Survivor of Non-State Torture, Trafficking, and incest, and child Pornography
Teresa Ulloa, Director at CATWLAC, Mexique
Terry Forliti, Breaking Free, US
Rachel Moran, International Speaker, feminist, UK