FETE DES MERES : Messieurs, voici la facture.
Nous avons eu l’espoir que le confinement serait l’occasion d’une prise de conscience. Les hommes, soudain contraints à passer plus du temps dans le foyer, allaient être tenus de voir l’invisible : le travail domestique et parental, ces activités quotidiennes grâce auxquelles la vie est produite et reproduite, qui incombe majoritairement aux femmes.
Sauf que pour la majorité des femmes, l’épidémie de Covid-19 et la réorganisation des vies professionnelles et personnelles qui en a résulté auront surtout été l’occasion d’expérimenter un nouveau plaisir de la vie du foyer : en plus des charges domestiques (on mange quoi ce soir ?), parentales (où est ton devoir de maths ?), mentales (il a imprimé son formulaire pour sortir ?), reproductives (mon ordonnance de pilule !), émotionnelles (ça a été, ta réunion ?), les femmes auront découvert la pratique de la douche froide.
Car le confinement a exacerbé les inégalités femmes-hommes. Autour de nous, nous avons vu les femmes assurer la majorité des tâches domestiques, mettre leur travail et leur bien-être en sourdine. Nous avons vu les mères s’occuper en grande majorité du lien avec l’école : aux États-Unis, 80% des femmes estiment avoir davantage effectué le suivi scolaire – combien en France ? Elles ont été plus nombreuses à prendre des congés pour garde d’enfant, à voir s’éloigner les perspectives professionnelles, parce que qui s’occupera des enfants ? Nous avons vu, et vécu, cet impossible auquel seules les femmes sont tenues, les laissant épuisées physiquement et psychologiquement. Bref, elles en ont fait beaucoup plus, en sacrifiant beaucoup plus.
Avec le déconfinement, on prétend revenir à la normale. Pourtant, les écoles n’accueillent encore que 23% des élèves, et ce sont donc toujours les femmes qui ont principalement la charge des enfants.
N’est-il pas temps, alors, d’envoyer la facture?
N’est-il pas temps, puisque se profile monde d’après, de faire les comptes, de regarder combien d’heures passées, d’opportunités perdues, ou de carrières interrompues parce que le travail domestique et parental est non seulement inégalement réparti mais invisibilisé, la majorité des hommes surestimant leur implication et sous-estimant le travail de leur conjointe ?
Notre facture, là voici, chacune peut éditer la sienne simplement.
Notre facture veut régler ses comptes à l’organisation inéquitable du foyer.
De façon plus cruciale encore, notre facture est celle que nous envoyons à l’État, qui s’est délesté de dépenses socialisées sur les femmes comme l’école ou la prise en charge des dépendant.es. Notre facture est symbolique : nous voulons visibiliser le travail gratuit des femmes qui bénéficie aux hommes et à l’État. Nous voulons, pour le monde d’après, des politiques publiques féministes.
Notre facture rappelle que la société est construite non seulement sur la spoliation du travail féminin gratuit (60 milliards d’heures travaillées par an, ce qui représenterait l’équivalent de 33% du PIB), mais aussi sur une échelle de valeur où le travail féminin a toujours le bas-bout.
La déconsidération du féminin, nous la retrouvons dans l’organisation même du travail, qui dévalorise les métiers hautement féminisés du care (métiers du soin, du service à la personne, de l’éducation, de l’accueil). La crise sanitaire a pourtant montré que ces métiers, sous-payés, plus exposés, souvent précaires, sont parmi ceux qui font tenir et avancer la société. Rappelons que les femmes racisées ont été particulièrement touchées par la crise sanitaire : elles sont nombreuses à occuper ces emplois, beaucoup ont continué à se rendre sur leur lieu de travail en manquant de protections sanitaires, ont perdu des sources de revenu voire se sont retrouvées sans ressources. Elles ont mis leur vie en danger, ou l’ont perdue, comme Aicha Issadounène. Pour elles aussi, il faut envoyer la facture.
Pour que les femmes, plus nombreuses parmi les chômeur.ses à venir, parmi les appauvri.es à venir, n’aillent pas vers le pire, il est urgent de revoir notre échelle de valeur du travail.
La facture que nous vous envoyons, Messieurs, est celle qui veut tirer un trait sur le monde d’hier construit par les hommes pour les hommes sur le dos des femmes, où nos activités et métiers étaient essentiels bien que précarisés, majeurs tout en étant systématiquement minorés.
Monde d’hier, voici notre facture, pour solde de tout compte.
- Tribune à l’initiative de :
- Amandine Hancewicz, présidente Parents & Féministes
- Céline Piques, porte-parole d’Osez le Féminisme !
- Héloïse Simon, écrivaine et militante féministe.
- Manuela Spinelli, Université Rennes 2, co-fondatrice Parents & Féministes.
- Signataires :
- Rebecca Amsellem, Les Glorieuses
- Lauren Bastide, journaliste
- Marie-Noelle Bas, présidente des Chiennes de garde
- Noémie de Lattre, actrice et metteuse en scène
- Christelle Delarue Présidente des Lionnes France
- Christine Delphy, chercheuse CNRS, sociologue féministe
- Béatrice Kammerer, journaliste
- Natacha Niedzwialowska, Osez le Féminisme 59 !
- Coralie Miller, activiste, autrice, metteuse en scène
- Fiona Schmidt, journaliste et autrice
- Rachel Silvera, économiste, université de Paris-Nanterre, réseau Mage