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#SangTabou

Tribune de Marie Allibert, porte-parole d’Osez le féminisme ! aux côtés de Rima Achtouk et Claire Serre-Combe :  » »Une campagne sur les règles ? Mais vous n’avez pas d’autres priorités les féministes, sérieusement ? » Une question rituelle, à chaque nouvelle mobilisation lancée par Osez le Féminisme ! Les règles touchent pourtant la moitié de l’humanité. Une femme a ses règles pendant 40 ans environ, soit 500 fois dans une vie. 2 500 jours. 1 500 euros de protections hygiéniques dépensés. Y a-t-il un sujet plus universel que celui-ci ?
Pour une association féministe, analyser ce qui se cache de représentations stéréotypées, de préjugés et de machisme derrière ce sujet est essentiel, et pas seulement pour des raisons « symboliques »: l’indifférence, voire le dégoût que suscitent les menstrues a un impact très réel et concret sur la vie des femmes. C’est l’objet de la campagne Sang Tabou, qu’Osez le Féminisme ! a lancé dimanche dernier.
Dans les pays en développement, continuer de vivre sa vie lorsqu’on est en période de règles est une gageure, faute de protections hygiéniques adaptées ou même de toilettes accessibles. Selon l’UNICEF, 30% des jeunes népalaises cessent d’aller à l’école pendant leurs règles. Même proportion en Afghanistan, et 20% au Sierra Leone. Dans certaines cultures, les femmes qui ont leurs règles sont reléguées au ban de la société et isolées physiquement des autres, car elles sont considérées comme impures.
 »Ah ça oui d’accord, ailleurs c’est horrible, mais chez nous franchement, ça va, il n’y a pas de tabou des règles ! »
Pourtant, force est de constater que rares sont celles et ceux qui appellent un chat un chat, et les règles les règles. Les ours, les Anglais, ces jours-là, les ragnagnas, les fleurs : les mots pour édulcorer les règles sont légion. Ne pas nommer, c’est affirmer qu’une chose est trop avilissante pour qu’on l’évoque ; c’est la rendre taboue, c’est-à-dire « qu’il serait malséant d’évoquer, en vertu des convenances sociales ou morales ».
Pour les jeunes, parfois très jeunes filles, dont les règles surviennent pour la première fois, comment ne pas avoir honte de son corps ? L’impact en termes de confiance en soi peut être terrible : toute femme se souvient de la peur adolescente de la tâche sur les vêtements, car l’injonction première faite à la femme réglée est celle de la discrétion. Les règles posent ainsi des limites aux femmes : limite à leurs activités, à leur mobilité, à leur façon de s’habiller…
A cela s’ajoute les stéréotypes sur les conséquences supposées des règles sur l’humeur des femmes. Il y a pourtant autant de façons de vivre ses règles que de femmes : certaines souffrent, d’autres ne sentent rien, certaines sont tristes ou déprimées, d’autres soulagées, d’autres indifférentes.
Les clichés ont la vie dure, et s’ils peuvent faire sourire, ils sont également régulièrement utilisés comme arme pour discréditer les femmes dans l’espace public : une femme qui a ses règles peut-elle réellement diriger un pays ? Prendre des décisions importantes en gardant la tête froide ? On a vu récemment le candidat américain à l’élection présidentielle Donald Trump évoquer les règles d’une journaliste pour justifier l’interview un peu musclée à laquelle elle l’avait soumis.
Enfin, et c’est là le plus grave, traiter les règles comme un sous-sujet, une affaire de « bonnes femmes », c’est en minimiser la place dans le débat public. L’exemple le plus récent est celui de la Tampon Tax : les protections hygiéniques, qui sont indispensables à toutes, ne sont pas considérées comme un bien de première nécessité, en conséquence de quoi le taux de TVA applicable est de 20%. En dépit de la proposition de la députée Catherine Coutelle de corriger cette injustice dans le Projet de Loi de Finances 2016, l’Assemblée nationale a maintenu cette aberration. Les règles ne sont apparemment pas un sujet digne de nos députés, hommes à 75% faut-il le rappeler !
Si c’était les hommes qui avaient leurs règles, il y a fort à parier que la situation serait tout autre : les protections seraient probablement taxées à 5,5%, voire gratuites. Quant aux publicités en vantant les mérites, elles valoriseraient surement les règles comme un signe de vitalité et de force, et non pas comme une honte à dissimuler à tout prix.
Lancer une campagne de sensibilisation au tabou des règles, c’est redire à chaque femme que les règles sont une réalité physiologique qui ne devrait ni les faire souffrir physiquement, ni leur faire honte, ni les gêner dans leur quotidien. En tant que féministes, nous avons de nombreuses priorités. Clairement, lever le tabou des règles en fait partie. »