Une fois de plus le droit de légitime défense est refusé aux femmes !

Une tribune de Médiapart.

Dans cette lettre ouverte adressée au ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti et à la procureure générale de la Cour d’appel de Lyon, Sylvie Moisson, plusieurs personnalités et associations féministes considèrent qu’Annaëlle P., une jeune femme en situation de prostitution jugée pour le meurtre d’un client, « n’est pas coupable ». Elles réclament que le ministère public fasse appel et présente des excuses à Anaëlle P. Une pétition est en ligne.

Annaëlle P. n’est pas coupable !

Anaëlle est une jeune femme de 26 ans, déscolarisée à 15 ans, en situation de prostitution depuis ses 17 ans.

Rappelons que le droit applicable définit le fait de recourir à la prostitution d’autrui, comme une violence sexuelle (loi 2016) et comme une atteinte portée à la dignité Humaine de l’autre (Convention des Nations-Unies de 1949).

Un de ses « clients réguliers » était un homme de 52 ans. Cet homme l’a violée le 16 août 2017 avec un sextoy. Pour s’arracher à ce viol qu’elle était en train de subir, Anaëlle a saisi un couteau et a porté plusieurs coups, dont son client décèdera. Se défendre était nécessaire et légitime. Ce droit lui sera pourtant refusé par la justice.

Vulnérable, exploitée, elle est poursuivie pour meurtre. À l’issue d’un procès d’une rare violence, elle vient d’être condamnée dans la nuit du mercredi 5 au jeudi 6 mai à dix ans de prison par la Cour d’assises de l’Ain.

Il est indubitable que la situation de prostitution d’Anaëlle a influencé la cruauté de ce verdict. Y aurait-il un régime dérogatoire pour les femmes les plus vulnérables, contre qui tout est possible ? L’argent exonère-t-il du crime de viol ? La domination masculine est-elle fondée en droit ?

La justice a commis une faute lourde car Anaëlle est victime.

Rappelons les obligations qui s’imposent à l’institution judiciaire s’agissant des victimes de viols : Le droit international, la Cour Européenne des Droits de l’Homme notamment, est clair : le viol est un « acte grave, qui met en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la vie privée ». La CEDH oblige les institutions judiciaires des Etats à protéger les femmes et tout particulièrement les personnes vulnérables.

Un viol est un crime, « un viol c’est un meurtre psychique » pour reprendre les termes de Gisèle Halimi.

Le droit international impose également aux juges d’interpréter la loi à la lumière des connaissances actuelles dont la société dispose sur les réactions et les conséquences traumatiques des viols sur les victimes.

Les juges doivent connaître et maîtriser la victimologie, les notions de trauma, de dissociation, de décorporalisation notamment. C’est leur travail. Un procès d’assises n’est pas un comptoir de bar tabac ! Ils ne peuvent se faire les porte-voix d’idéologies sexistes et de faux savoir arriérés sans commettre une faute lourde et engager la responsabilité de l’Etat.

L’obligation positive de ne pas faire subir aux femmes victimes de violences de « victimisation secondaire » lors des procédures emporte des conséquences très claires.

Or, dans cette affaire le droit a été bafoué !

L’avocat général, qui représente le peuple, l’intérêt de la société, a commis une faute lourde en tenant ces propos inacceptables : « Dire qu’elle est violée sauvagement et faire l’amour trois jours après… » : pour l’avocat général, son comportement signerait un « cynisme incompatible avec son récit victimaire ».

Une telle méconnaissance de la question est effrayante et honteuse en 2021, alors que toute la société depuis 5 ans ne parle que de ça et que de gros progrès ont été faits en victimologie et dans la compréhension de ces faits par les spécialistes depuis plus longtemps encore !

Alors que la Convention d’Istanbul qui date de 2011 apporte des éclairages scientifiques sur les conséquences des viols, alors que la jurisprudence de la CEDH mais aussi de la Cour de Cassation le précisent clairement depuis plus de dix ans.

Près de 50 % des crimes jugés aux assises sont des viols, et il existe encore des magistrats incompétents sur ces questions.

Dans quel monde vivons-nous pour que de tels propos soient tenus dans l’enceinte d’un lieu où la justice est supposée s’exercer pour défendre les faibles et les victimes ?

Le sens de cette décision est inacceptable et surtout contraire à tous les droits : Les femmes doivent-elles laisser les hommes les violer ?

Nous demandons au Ministère Public, de présenter des excuses à Anaëlle pour ces propos innommables et qui couvrent de honte la Justice.

Nous exigeons que le Parquet général se désolidarise et forme appel de cette décision afin de requérir l’acquittement d’Anaëlle qui est victime dans cette affaire. Il a 10 jours pour le faire à compter de la date de la décision, soit jusqu’au 16 mai : il y a urgence !

La légitime défense est un droit naturel et imprescriptible. Ce droit ne saurait être interdit aux femmes contre les violences masculines.

Nous demandons à Monsieur Éric Dupond-Moretti de condamner ces propos de l’Avocat général, et de respecter les obligations de formation initiale et continue des magistrats et des experts à la victimologie et à la traumatologie, pour que de tels propos ne soient plus jamais entendus dans une cour d’assises ou ailleurs !

Anaëlle a été contrainte de se défendre contre l’homme qui la violait en le tuant. Elle est victime. Elle doit être protégée et respectée.

Signataires :

Les effronté-es, association féministe et LGBT+
Osez le Féminisme, association féministe
Collectif Féministe Contre le Viol
Sophie Binet, syndicaliste CGT
Laurence Rossignol, sénatrice
Philippe Poutou, porte-parole NPA
Christine Delphy, sociologue et féministe
Annie Lahmer, conseillère Régionale ÉcoFéministe
Les Attentives, compagnie de théâtre féministe et humaniste
Mathilde Larrère, historienne et féministe
Féminicide par compagnons ou ex, collectif féministe
Joséphine Delpeyrat, porte-parole Génération·s
Karine Plassard, militante féministe
Maison des Femmes de Paris
Héroï·nes 95, collectif féministe
Las Rojas Paris, collectif féministe
Malka Marcovich, écrivaine féministe
Lorraine Questiaux, avocate
Sabine Reynosa, militante féministe et syndicaliste CGT