Sororité contre les violences masculines
Nous attaquerons toujours les systèmes d’oppression, Nous soutiendrons toujours celles qui en sont les premières cibles. |
Le 11 Octobre dernier, un élu d’extrême droite prend à partie et humilie une femme dans un bâtiment public, arguant hypocritement parler “au nom des femmes qui se battent pour leurs droits partout”… Comme allumé par l’étincelle de cette énième attaque contre une femme voilée, un déchaînement de violence se propage alors dans le débat public. Des propos injurieux aux incitations à la haine qui outrepassent la liberté d’expression, chacun s’attèle une fois de plus à mettre de l’eau au moulin d’un débat stigmatisant, aggravé par des raccourcis et amalgames constants. Globalement, on s’aperçoit que la sphère politique s’empare d’un sujet qui cristallise les tensions pour saturer l’espace médiatique. L’instrumentalisation du débat sur le port du voile, qui a pour effet de détourner l’attention d’autres sujets d’actualité, est un procédé récurrent employé par les gouvernements successifs depuis de nombreuses années. Il en va ainsi depuis 2004 avec la multiplication des lois visant les femmes dites musulmanes : l’outil législatif ici brandi comme « solution » et sur lequel se jettent systématiquement nos gouvernants – avec passion mais sans raison, est pourtant tout aussi stigmatisant que contre-productif. Cela ne fait que contribuer à alimenter un climat d’hostilité vis à vis de certaines femmes qui sont les premières victimes d’un sexisme et d’un racisme ambiants. Osez Le Féminisme ! depuis sa création tient une position nette sur la question des religions en ce qui concerne les droits des femmes. L’ensemble des religions, parce qu’elles ont été pensées, construites et dirigées par des hommes, parce qu’elles continuent de l’être, constituent non seulement le reflet mais également une arme du patriarcat. Les femmes y sont reléguées au second plan, considérées comme “impures” et donc condamnables par nature. Nos corps et nos sexualités y sont généralement perçues comme un danger qu’il faut dompter, effacer. Ce discours peut être utilisé pour justifier l’enfermement des femmes dans la sphère domestique. Il peut parfois créer une hiérarchie entre les femmes “honorables” et les “putains” entraînant ainsi une rupture de sororité, une rivalité, l’impossibilité de nous appréhender nous même comme un groupe solidaire et uni… Cette analyse des religions en tant qu’arme participant à l’oppression des filles et des femmes n’enlève absolument rien à la sororité que nous ressentons face à celles qui, victimes de sexisme et racisme combinés, subissent une double peine ; –> Nous dénonçons l’enfumage politique de ceux qui, à défaut de mettre en place des politiques sociales aptes à endiguer l’exclusion que subissent certain.e.s, préfèrent stigmatiser des femmes, livrées à la vindicte raciste. –>Nous dénonçons ceux dont le prétendu intérêt pour les droits des femmes n’apparaît que comme le prétexte et l’instrument d’un discours qui charrie violence et division. –> Nous dénonçons aussi bien les agresseurs qui se servent de la religion pour faire pression sur les femmes que ceux qui prétendent les dénoncer pour justifier leur haine. –>Nous dénonçons l’instrumentalisation qui est faite du discours féministe qui prétend créer deux camps uniques : les défenseurs et défenseuses du voile contre les racistes. Ces caricatures empêchent la réflexion et la construction collectives. Elles instaurent un climat de peur qui empêche toute parole liée à la dénonciation du voile comme une violence contre les femmes. Or, cette voix est également importante et mérite d’être entendue. En tant que féministes, nous ne pouvons pas ignorer le combat de celles qui, dans de multiples pays, y compris la France, réclament d’avoir le choix de retirer leur voile et de se vêtir comme elles l’entendent. Nous ne devons pas taire non plus la pression religieuse que subissent certaines femmes, y compris en France, et qui va à l’encontre de leurs libertés fondamentales. Cela invaliderait toute une Histoire féministe, le matrimoine d’une lutte toujours d’actualité, spécialement après la révolution islamiste et l’influence croissante des wahhabites et salafistes dans de nombreux pays. Comme l’écrit Wassyla Tamzali, militante féministe algérienne, “refuser le voile ne veut pas dire accepter le racisme”. Associer la lutte antiraciste à l’acceptation de pratiques religieuses misogynes ne sert pas la lutte contre les violences sexistes. Aujourd’hui, en France, une partie de la gauche, une partie des féministes, ont sombré dans le relativisme culturel en acceptant certaines “traditions” sexistes au nom d’un principe de “tolérance”. Or, comme le met en avant Wassyla Tamzali, “la peur de stigmatiser le christianisme n’a pas arrêté la lutte des féministes, pour la conquête essentielle du droit à l’avortement et de la liberté de disposer de son corps. On touchait là à un dogme beaucoup plus sérieux et avéré que le voile dans l’islam. […] Peut-on dire que ce qui conduit la pensée féministe en général n’est pas bon pour ce qui concerne les femmes dites musulmanes ?” La subtilité, cependant, tient sans doute en quelques mots : ce n’est pas l’islam que les féministes ont peur de stigmatiser mais les femmes musulmanes voilées. Car, dans le contexte français, ces femmes subissent de nombreuses discriminations qui leur sont spécifiques et que nous dénonçons ; D’abord, le sujet du voile ici est indissociable de l’Histoire coloniale française. Le discours majoritaire sur le sujet de la visibilité des femmes musulmanes voilées dans la sphère publique installe une dichotomie entre d’un côté l’islam “religion arriérée et patriarcale” et de l’autre l’Occident qui aurait atteint l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et pourrait donc être érigé en modèle de modernité. Or, cette image de l’Occident porteur de l’égalité entre les sexes, “sauveur” et “civilisateur” a été l’un des arguments pour légitimer le colonialisme. Aujourd’hui, le recyclage de cette rhétorique est révélatrice d’une pensée néocoloniale qui occulte les lacunes de la France et les efforts considérables que nous avons encore à mener en ce qui concerne les politiques d’égalité et la lutte contre l’ensemble des violences masculines. En outre, ce paradigme qui place les autres “civilisations” dans une position de supposée infériorité rappelle les heures sombres du dévoilement public des femmes algériennes, employé par les autorités coloniales françaises à l’époque de la guerre de libération. Ensuite, à l’image de Tariq Ramadan pour qui il existe un genre “femme musulmane”, les sphères politique et médiatique et, de fait, l’opinion publique française voient généralement les femmes musulmanes comme un groupe homogène enfermé dans le stéréotype de la “victime”, “soumise” ne pouvant qu’être “sauvée”, “assimilée” ou “tolérée”. Cet amalgame a pour conséquence la négation de l’individualité et de la capacité à agir et à penser des femmes dites musulmanes (voilées ou non), souvent exclues des institutions républicaines. Il a également pour effet d’altériser et de racialiser une catégorie de femmes doublement discriminées et invisibilisées. En tant que féministe, nous refusons ces violences. Nous nous opposons à l’ensemble des manifestations du patriarcat et nous estimons que la lutte contre les pratiques religieuses misogynes ne doit pas nous couper d’une sororité nécessaire avec l’ensemble des filles et des femmes. Depuis sa création, il y a plus de 10 ans, Osez Le Féminisme ! a développé ses analyses et avancé sur de multiples sujets. Nous avons le souci constant de développer une sororité active et inclusive qui se dirige vers l’ensemble des filles et des femmes. Notre pensée féministe nous a appris à quel point les choix que nous faisons sont déterminés ; que ce soit par la culture, l’éducation, la société, les violences subies ou tout cela à la fois et nous avons donc conscience des biais que nous devons déconstruire dans le cheminement vers un féminisme qui serait antiraciste et décolonial. Nous nous attelons à cette tâche par une constante réflexion et évaluation de nos positionnements et actions, par la prise en compte des voix des femmes concernées qui nous aident à façonner nos convictions. Nous pensons que c’est par l’inclusion de l’ensemble des femmes dans les processus d’analyse et d’action, par la convergence des luttes féministes que nous pourrons avancer. Ainsi, alors que nous nous attaquerons toujours aux systèmes d’oppression, partout dans le monde, nous soutiendrons toujours celles qui en sont les premières cibles. Notre colère et notre révolte se dirigent vers les violences masculines et patriarcales d’où qu’elles viennent. Nous refusons de laisser les femmes qui portent le voile seules en prise aux tempêtes et aux déferlements de haine qui les assaillent de toutes part, nous refusons de laisser les gouvernements en faire des boucs émissaires, cristallisant l’ensemble des maux et des frustrations de la société, nous refusons les amalgames qui voudraient nous faire croire que le “vivre ensemble” est impossible. On ne défait jamais l’emprise des gourous, quels qu’ils soient, par la violence et la culpabilisation des victimes. Combattre l’emprise de l’ensemble des agresseurs (paternels, religieux, conjugaux, etc.) reste la priorité absolue de notre mouvement. Le chemin vers l’émancipation de toutes, nous le voyons pavé de compréhension et de partage, de réflexion et d’entraide. Nous nous souhaitons unies contre les violences masculines. Toutes, solidaires et debout. |