Tribune : Le cunnilingus imposé est un viol : la justice doit cesser l’excision judiciaire du sexe des femmes
Le 16 décembre 2025, la Chambre de l’instruction de Paris rendra une décision déterminante : elle dira si des cunnilingus imposés quotidiennement à une enfant entre ses huit et quatorze ans par un tiers de confiance relèvent du viol ou d’une simple agression sexuelle. En 2020, la Cour de cassation a estimé qu’un cunnilingus n’était pas un viol, réduisant ainsi le sexe des femmes au vagin. Nous demandons un revirement de jurisprudence.
En 2017, une jeune femme portait plainte pour avoir subi des cunnilingus imposés quotidiennement de ses 8 à 14 ans. Huit ans plus tard, la justice française décide de renvoyer ces faits devant le tribunal correctionnel pour agressions sexuelles et non pour viols, ce qui en dit long sur la persistance de sa vision archaïque du corps des filles et des femmes.
C’est la conséquence directe d’une jurisprudence de 2020 dans laquelle la Cour de cassation a validé une décision considérant que des cunnilingus imposés à une mineure n’étaient pas des viols, faute « d’introduction volontaire au-delà de l’orée du vagin, suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration ». Autrement dit, pénétrer la vulve ne suffirait pas à caractériser un viol. Cette interprétation restrictive du sexe féminin opère une mutilation symbolique : une excision judiciaire. Elle nie l’anatomie réelle des femmes pour ne retenir que ce qui sert au plaisir des hommes ou à la procréation.
Pourtant, depuis 1980, la loi française définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit ». Le texte n’exige aucune condition ni de profondeur, ni de mouvement, ni de durée. Se faisant, la loi voulait précisément rompre avec une conception phallocentrée du viol, réduit autrefois au coït d’un homme sur une femme.
En refusant de reconnaître la pénétration de la vulve comme pénétration sexuelle, la Cour de cassation a trahi l’esprit de la loi en adoptant une lecture discriminante du droit.
Depuis 2007, il est communément admis par la jurisprudence qu’un viol consiste en une pénétration par un sexe ou dans un sexe. Or, le sexe d’une femme ne commence pas au vagin : il se compose d’une vulve formée des grandes et petites lèvres, des glandes et du clitoris.
Un cunnilingus forcé, par des mouvements de langue entre les lèvres ou sur le clitoris, implique donc une pénétration de la vulve ; il répond donc parfaitement à la définition légale du viol. Prétendre le contraire, c’est effacer le corps des femmes du droit pénal.
Cette négation du sexe des filles et des femmes n’a pas d’équivalent pour les hommes. Lorsqu’un homme subit une fellation imposée, la justice ne s’interroge pas sur la profondeur de la pénétration buccale. Pourquoi l’exiger pour les femmes ? Faudrait-il désormais prendre une règle pour caractériser un viol ? À partir de quelle mesure une pénétration peut être qualifiée de « suffisamment profonde » ? Un centimètre, trois ? Cette absurdité juridique enferme les victimes dans des expertises intrusives et des procédures humiliantes, rendant la reconnaissance de leur viol presque impossible.
Face à la mobilisation féministe suscitée par la décision du 14 octobre 2020, la loi du 21 avril 2021 a modifié la définition pénale du viol : elle précise désormais qu’un acte bucco-génital peut constituer un viol. Une victoire féministe, oui, mais cette réforme ne s’applique qu’aux faits postérieurs à 2021. Pour toutes les victimes d’actes bucco-génitaux imposés avant cette date, il revient aujourd’hui aux juges de dire le droit.
Le 16 décembre 2025, la Chambre de l’instruction de Paris a la possibilité d’écrire une page essentielle de l’histoire judiciaire des femmes : reconnaître enfin que le cunnilingus imposé est un viol. Car il s’agit bien d’une pénétration sexuelle, d’une effraction du corps, d’une atteinte profonde à l’intégrité des victimes.
La justice française ne peut pas continuer à nier le sexe des femmes. Elle doit affirmer, en droit, ce que le corps féminin est en réalité : un ensemble organique, sensible et complet, dont chaque partie mérite la même protection. Mettre fin à cette excision judiciaire, c’est reconnaître que les femmes ont un corps entier, un sexe entier, et qu’aucune partie de celui-ci ne peut être impunément envahie.
Le 16 décembre, nous appelons la Chambre de l’instruction à revenir sur cette jurisprudence indigne. Le cunnilingus imposé est un viol. Le sexe des femmes ne se réduit pas au vagin.
Signataires :
Mié Kohiyama, co-fondatrice de BeBraveFrance
Diariata N’Diaye, artiviste, fondatrice de Résonantes et App-Elles
Violette Perrotte, directrice de la Maisons des femmes de Saint-Denis/Restart
Emmanuelle Piet, docteur, présidente du Collectif Féministe contre le Viol
Céline Piques, porte-parole d’Osez le Féminisme
Muriel Réus, présidente fondatrice de “Femmes avec…”
Ernestine Ronai, experte de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.
Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif National pour les Droits des Femmes
Muriel Salmona présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie
Le collectif salarié de l’AVFT-Libres et Égales
