Ursula Le Menn : « Des hommes violent, violentent et tuent, et pourtant ce sont les féministes que l’on pointe du doigt »
Une tribune parue dans le Monde le 04/10/2021
La porte-parole de l’association Osez le féminisme ! dénonce, dans une tribune au « Monde », une « rhétorique antiféministe » qui, en inversant la culpabilité des violences masculines sur des femmes, veut « instrumentaliser » le féminisme « à des fins racistes et misogynes ».
Tribune. C’est devenu une habitude, presque un passage obligé. Lorsque des violences masculines commises par des hommes musulmans ou issus de l’immigration font la « une » des médias, des éditorialistes et personnalités politiques convoquent immédiatement les féministes, les accusant tour à tour de silence ou d’inaction.
Des hommes violent, violentent et tuent, et pourtant ce sont les féministes que l’on pointe du doigt. Cette rhétorique n’est pas nouvelle, on se souvient de son utilisation lors des violences sexuelles de masse commises à Cologne (Allemagne) lors du Nouvel An 2016, mais elle semble néanmoins gagner en popularité ces derniers mois. On la retrouve dans un article d’Eugénie Bastié, qui titre « Viols en pleine rue à Paris : où sont les féministes ? », ou encore dans le slogan « Les femmes afghanes sacrifiées, la lâcheté des féministes », asséné par l’homme politique conservateur Nicolas Dupont-Aignan sur les réseaux sociaux.
A mesure que le mouvement féministe et ses revendications se font de plus en plus visibles, la volonté de contre-attaquer à la moindre occasion grandit elle aussi ; c’est ce que la féministe américaine Susan Faludi a appelé le « Backlash » [« retour de bâton »].
Les buts servis par cette rhétorique antiféministe sont multiples, d’une part diviser les féministes et policer notre parole, inverser la culpabilité de violences masculines sur des femmes et enfin instrumentaliser le mouvement féministe à des fins racistes et misogynes. Les organisateurs de ces « olympiades du féminisme » divisent les militantes en deux catégories : les bonnes et les mauvaises féministes, les bonnes étant bien évidemment celles qui sont d’accord avec eux sur le sujet du jour.
Une stratégie patriarcale
Non seulement ce serait à ces polémistes de déterminer les sujets sur lesquels nous sommes sommées de travailler mais il leur reviendrait également le privilège de déterminer quelles sont les bonnes ou les mauvaises réponses, méthode éculée pour contrôler la parole politique des femmes.
L’autre dessein de cette rengaine est tout simplement d’inverser la culpabilité d’actes qui sont le fait d’hommes, sur des femmes, par le truchement d’une stratégie patriarcale non moins éculée. Outil bien pratique pour ne surtout pas avoir à questionner la dimension patriarcale de ces violences et ce qu’elles disent de la domination masculine.
Des hommes violent des femmes dans la rue ? Mais que font les féministes ! Les talibans terrorisent les Afghanes ? Mais où sont passées les féministes ? Une adolescente est victime de cyberharcèlement sexiste et lesbophobe, à qui la faute ? Aux féministes pardi !
Ces procès en féminisme ont généralement lieu lorsqu’un sujet concerne à la fois les femmes et l’immigration ou la religion : Cologne, Mila, Afghanistan, à chaque fois les féministes sont accusées de ne pas réagir. Peu importent les communiqués, les messages de condamnation des violences, les multiples actions de soutien mises en place, ce qui compte ce n’est pas la réalité de ce que disent ou font les féministes et de leur travail largement invisibilisé effectué le plus souvent bénévolement avec des ressources très limitées. Non, le double objectif, semble-t-il, est de décrédibiliser les luttes féministes tout en les instrumentalisant pour servir un discours raciste.
Un alibi pour les réactionnaires
En effet, cette rhétorique mensongère selon laquelle les féministes auraient peur de critiquer les religions ou de dénoncer des violences commises par des hommes racisés sert d’alibi aux réactionnaires : selon eux, les féministes se battraient contre un patriarcat occidental imaginaire, et qui ne devrait donc pas être questionné, plutôt que contre le « vrai » patriarcat qui n’existerait qu’à l’étranger ou au sein des communautés d’origine étrangère. D’une pierre, deux coups.
Nous n’avons pas attendu les antiféministes pour mettre en place des réseaux de solidarité internationale, ni pour dénoncer les fondamentalismes, ni encore pour lutter contre toutes les violences sexuelles masculines. Nous dénonçons et continuerons de dénoncer les Weinstein, les PPDA, les Ménès, les Cantat, tout comme les talibans.
Celles et ceux à l’indignation à géométrie variable, en revanche, ne semblent s’intéresser aux droits des femmes que lorsque l’agresseur constitue un ennemi politique. Ce sont les mêmes qui se serrent les coudes lorsqu’un journaliste d’envergure ou un homme politique est accusé de violences sexuelles à grands coups de « présomption d’innocence » et de « tribunal médiatique ».
Non seulement nous n’avons pas de leçons de féminisme à recevoir mais celles et ceux qui nous les adressent ont encore moins à en donner.
Ursula Le Menn, porte-parole d’Osez le Féminisme !